Quand j’ai lu dans la presse l’autre jour que le projet de Constitution avait été rendu public et que l’article 3 bis (il faut en plus que ce soit un bis, accessoire) reconnaîtrait enfin tamazight langue nationale et officielle, ma pensée est allée tout droit à Hend Sadi. Je me suis dit que ce devait être un jour historique pour lui et ses camarades, sur la brèche depuis de si longues années.
Après des décennies de lutte, voici enfin le jour de la victoire ! Ça se fête, ça ! A la bonne vôtre ! Et tout le monde est certainement content, mais Hend davantage que les autres ! Je n’allais pas tarder à réaliser que je me plantais. La concession de l’article 3 bis n’est qu’un joli leurre. De la pacotille décorative. Pire encore : «Ce statut de langue officielle exclue de l'Etat, c'est-à-dire indigène (ou dhimmie) a un parfum colonial insupportable», commentera plus tard Hend Sadi.
Mais d’abord, pourquoi d’emblée ai-je pensé à ce dernier ? Parce que de tous les militants de tamazight que j’ai rencontrés– je suis loin de les connaître tous, certes, et il serait présomptueux d’établir un top de la militance —, il est celui qui me paraît faire preuve de la plus grande constance dans la défense de l’identité, de la culture et de la langue berbères. C’est aussi celui chez qui j’ai trouvé ce mélange de ces deux éléments qui transforment une idée en Cause : la passion tamisée par la rationalité et la logique boostée par la passion. Il sait être militant de base, comme on dit, et politique. Coller des affiches et élaborer une stratégie !
Et, à ce que je sache, depuis qu’il a ouvert les yeux sur le monde, il se bat pour cette idée devenue un idéal, puis enfin un but : la reconnaissance de tamazight par un pouvoir qui, de Ben Bella à Bouteflika, alterne la répression, la ruse et encore la répression pour ne pas avoir à y répondre.
Hend Sadi fait partie de ces militants qui, depuis le lycée Amirouche qu’il a commencé à fréquenter au milieu des années 1960 à Tizi Ouzou, jusqu’à ce jour, a été sur tous les fronts — politique, culturel, intellectuel – où se défendait, contre la doxa de la domination arabo-islamique, l’antériorité de l’identité berbère en Afrique du Nord.
Par nécessité argumentative imposée par la réflexion et l’action militantes, mais aussi par curiosité intellectuelle, il a touché à l’histoire — il est incollable sur celle du mouvement berbère —, à l’anthropologie, un peu à la linguistique et même à la littérature. Son ouvrage Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique (Editions Achab) est la somme de tout cela, de tout ce qu’il a acquis dans une recherche qui remonte à son adolescence. Professeur de mathématiques à l’université, il sait donner précision et rigueur à sa réflexion.
Cela fait quelques années que nous discutons tous les deux autour de l’Association de culture berbère (ACB) et je peux témoigner que la revendication berbère occupe une place dominante chez lui. Tout l’y rattache… C’est son habitus... Il n’est pas le seul, fort heureusement, mais chez Hend Sadi, c’est comme une inspiration de tous les instants.
Je crois l’avoir entendu confier une fois que, au vu de l’enchaînement des circonstances, il ne verrait pas de son vivant aboutir le combat pour la reconnaissance de tamazight.
C’est pourquoi il a été la première personne dont je voulais avoir les impressions. Bien sûr, il a été content, confiera-t-il, à l’annonce de la nouvelle. A la lecture des titres des journaux, il a d’abord pensé que le but était enfin atteint. Mais le sentiment ne dura que le temps, bref, qui le séparait de la lecture du désormais fameux article 3 bis. : «Non seulement je ne suis pas content, mais j’ai trouvé que c’est, comme disent les jeunes, du “foutage” de gueule.»
Explications : «D’abord, il y a toujours cet aspect “bis”, strapontin. L’article 3 bis, comme tous les militants l’ont relevé, est jetable. On peut parfaitement, au détour d’une révision, s’en défaire, ce qui n’est pas le cas de l’islam, religion d’Etat, et de la langue arabe, langue officielle de l’Etat. »
Et tamazight, langue officielle, de quoi donc ? «J’ai lu beaucoup de choses sur la question du statut des langues et je n’ai jamais rencontré un statut pareil de langue officielle qui ne soit pas celle des institutions.»
Il y a manifestement une ruse. Reconnaître pour neutraliser. «Ils se sont inspirés de la Constitution marocaine qui considère l’arabe comme langue officielle de l’Etat et tamazight, patrimoine commun.» Pirouette constitutionnelle ! «Les Canadiens, qui ont une réflexion poussée sur la question des langues, disent qu’une langue officielle qui n’est pas celle d’un Etat est un non-sens.»
Autres détails : «Il est dit que pour que ça devienne effectif, il faut des lois, le temps, etc. Ça veut dire qu’il n’y a même pas la volonté politique. On a vu comment ils ont réalisé l’arabisation. Ils ont foncé sans réfléchir à la faisabilité. Tandis que là, on sent l’absence de cette volonté politique.»
Hend Sadi s’énerve devant tant de mauvaise foi : «On parle de constantes nationales. Tamazight est la seule constance dans ce pays depuis des millénaires. Et en plus, tamazight est langue officielle depuis 138 avant J.C., depuis que le roi Micipsa l’a gravé au fronton d’édifices royaux à Douga. On peut le vérifier dans les musées. L’accès y est gratuit, si les officiels veulent bien se donner la peine.»
Suite au prochain numéro, comme on dit. Car il y aura forcément une suite.
A. M.
Après des décennies de lutte, voici enfin le jour de la victoire ! Ça se fête, ça ! A la bonne vôtre ! Et tout le monde est certainement content, mais Hend davantage que les autres ! Je n’allais pas tarder à réaliser que je me plantais. La concession de l’article 3 bis n’est qu’un joli leurre. De la pacotille décorative. Pire encore : «Ce statut de langue officielle exclue de l'Etat, c'est-à-dire indigène (ou dhimmie) a un parfum colonial insupportable», commentera plus tard Hend Sadi.
Mais d’abord, pourquoi d’emblée ai-je pensé à ce dernier ? Parce que de tous les militants de tamazight que j’ai rencontrés– je suis loin de les connaître tous, certes, et il serait présomptueux d’établir un top de la militance —, il est celui qui me paraît faire preuve de la plus grande constance dans la défense de l’identité, de la culture et de la langue berbères. C’est aussi celui chez qui j’ai trouvé ce mélange de ces deux éléments qui transforment une idée en Cause : la passion tamisée par la rationalité et la logique boostée par la passion. Il sait être militant de base, comme on dit, et politique. Coller des affiches et élaborer une stratégie !
Et, à ce que je sache, depuis qu’il a ouvert les yeux sur le monde, il se bat pour cette idée devenue un idéal, puis enfin un but : la reconnaissance de tamazight par un pouvoir qui, de Ben Bella à Bouteflika, alterne la répression, la ruse et encore la répression pour ne pas avoir à y répondre.
Hend Sadi fait partie de ces militants qui, depuis le lycée Amirouche qu’il a commencé à fréquenter au milieu des années 1960 à Tizi Ouzou, jusqu’à ce jour, a été sur tous les fronts — politique, culturel, intellectuel – où se défendait, contre la doxa de la domination arabo-islamique, l’antériorité de l’identité berbère en Afrique du Nord.
Par nécessité argumentative imposée par la réflexion et l’action militantes, mais aussi par curiosité intellectuelle, il a touché à l’histoire — il est incollable sur celle du mouvement berbère —, à l’anthropologie, un peu à la linguistique et même à la littérature. Son ouvrage Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique (Editions Achab) est la somme de tout cela, de tout ce qu’il a acquis dans une recherche qui remonte à son adolescence. Professeur de mathématiques à l’université, il sait donner précision et rigueur à sa réflexion.
Cela fait quelques années que nous discutons tous les deux autour de l’Association de culture berbère (ACB) et je peux témoigner que la revendication berbère occupe une place dominante chez lui. Tout l’y rattache… C’est son habitus... Il n’est pas le seul, fort heureusement, mais chez Hend Sadi, c’est comme une inspiration de tous les instants.
Je crois l’avoir entendu confier une fois que, au vu de l’enchaînement des circonstances, il ne verrait pas de son vivant aboutir le combat pour la reconnaissance de tamazight.
C’est pourquoi il a été la première personne dont je voulais avoir les impressions. Bien sûr, il a été content, confiera-t-il, à l’annonce de la nouvelle. A la lecture des titres des journaux, il a d’abord pensé que le but était enfin atteint. Mais le sentiment ne dura que le temps, bref, qui le séparait de la lecture du désormais fameux article 3 bis. : «Non seulement je ne suis pas content, mais j’ai trouvé que c’est, comme disent les jeunes, du “foutage” de gueule.»
Explications : «D’abord, il y a toujours cet aspect “bis”, strapontin. L’article 3 bis, comme tous les militants l’ont relevé, est jetable. On peut parfaitement, au détour d’une révision, s’en défaire, ce qui n’est pas le cas de l’islam, religion d’Etat, et de la langue arabe, langue officielle de l’Etat. »
Et tamazight, langue officielle, de quoi donc ? «J’ai lu beaucoup de choses sur la question du statut des langues et je n’ai jamais rencontré un statut pareil de langue officielle qui ne soit pas celle des institutions.»
Il y a manifestement une ruse. Reconnaître pour neutraliser. «Ils se sont inspirés de la Constitution marocaine qui considère l’arabe comme langue officielle de l’Etat et tamazight, patrimoine commun.» Pirouette constitutionnelle ! «Les Canadiens, qui ont une réflexion poussée sur la question des langues, disent qu’une langue officielle qui n’est pas celle d’un Etat est un non-sens.»
Autres détails : «Il est dit que pour que ça devienne effectif, il faut des lois, le temps, etc. Ça veut dire qu’il n’y a même pas la volonté politique. On a vu comment ils ont réalisé l’arabisation. Ils ont foncé sans réfléchir à la faisabilité. Tandis que là, on sent l’absence de cette volonté politique.»
Hend Sadi s’énerve devant tant de mauvaise foi : «On parle de constantes nationales. Tamazight est la seule constance dans ce pays depuis des millénaires. Et en plus, tamazight est langue officielle depuis 138 avant J.C., depuis que le roi Micipsa l’a gravé au fronton d’édifices royaux à Douga. On peut le vérifier dans les musées. L’accès y est gratuit, si les officiels veulent bien se donner la peine.»
Suite au prochain numéro, comme on dit. Car il y aura forcément une suite.
Par Arezki Metref paru sur le Soir D'Algérie
A. M.