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Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ? Par Nour-Eddine Boukrouh

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Contribution de Nour-Eddine Boukrouh parue sur Le Soir D'Algérie

Les eaux douces et les eaux salées ne se sont pas mélangées ce week-end en Algérie comme dans la belle métaphore coranique. Les eaux saumâtres avaient beau courir après les eaux claires, elles ne les ont pas rattrapées. Les eaux propres et les eaux usées ne se sont pas mêlées à l’arrivée de la dépouille du dernier «historique» à l’aéroport d’Alger, au siège du FFS, à Aït Yahia et encore moins à Ath Ahmed. La famille du défunt a refusé au salon d’honneur de l’aéroport de serrer la main des officiels chargés par le chef de l’Etat de rendre hommage à celui qui a été emprisonné, condamné à mort et banni depuis les premiers jours de l’indépendance jusqu’à sa mort hors du pays. Un pays que, lui, a contribué à libérer tandis qu’eux, l’ont, par suite de leur absence de vision de ce qu’est un Etat et de leur incompétence en tous domaines, détruit moralement, mentalement, politiquement et économiquement.

Dans les multiples gestes de refus de la famille d’Aït Ahmed, il fallait lire en filigrane le rejet du pouvoir en cette circonstance par l’écrasante majorité des Algériens. Elle a dédaigné «leurs» moyens — avion présidentiel et véhicule officiel — et refusé qu’ils s’approchent de son tombeau. Le Premier ministre Sellal et les présidents des deux Chambres ont été obligés par la foule de rebrousser chemin avant même d’atteindre les lieux de l’inhumation. Pourront-ils encore gérer, légiférer ou proclamer dans leurs prises de parole démagogiques que le peuple est avec eux ? Eh bien oui, comme d’habitude ! En tout cas, et cela nul ne peut le nier, l’exemple nous vient souvent de cette Kabylie qui nous donne périodiquement des leçons à méditer profondément.
L’ambiance religieuse et les traditions funéraires sur lesquelles comptaient les Djouha du pouvoir pour se faufiler parmi la foule, l’air faussement triste, et faire oublier les décennies de persécutions et d’humiliations infligées au dernier résigné et au premier indigné des Algériens, n’y a rien fait. La solennité et la sacralité attachées à ce cérémonial depuis des temps immémoriaux ne les ont pas prémunis contre les inévitables «Pouvoir assassin !» avec lesquels la Kabylie les reçoit chaque fois que leurs chemins se croisent chez elle, à Alger ou à l’étranger. C’est dans ce genre de circonstances qu’on mesure l’importance de la manipulation de la religion par les pouvoirs illégitimes. C’est en bonne partie à la culture religieuse bon marché généreusement plantée dans les douars et l’esprit tribal que les pouvoirs despotiques doivent leur maintien dans les pays arabo-islamiques.
La «réconciliation», la paix des cimetières, le pardon et l’oubli mettant sur un pied d’égalité l’assassin et la victime sont quelques-unes de leurs fourberies pour rester au pouvoir après avoir été la cause du drame et les protagonistes de l’hécatombe.
«Yafetah ya rezzak !» tôt le matin en ce premier jour de l’année 2016, l’Algérie officielle, kidnappée par un clan en 1962, et l’Algérie populaire, frustrée de son indépendance, sont apparues dans une opposition frontale présageant d’une mauvaise année 2016 pour le pouvoir et l’Algérie. Ceux qui étaient au premier rang pour faire l’histoire de l’Algérie étant morts sous les balles de l’ennemi ou assassinés par leurs pseudo-frères d’armes, il est resté ceux de l’arrière-ban, les profils louches au parcours obscur pour l’anéantir systématiquement avec leur ignorance, leur petitesse, leur narcissisme et leur satanisme.
Aït-Ahmed, le dernier des «historiques», qu’il aimât ou non l’expression, est parti fâché avec cet arrière-ban qui ne lui a pas donné une seule datte de son vivant mais a voulu l’ensevelir à sa mort sous un régime qu’il a rejeté d’un coup de pied avec leurs «honneurs» post-mortem insincères et payés avec l’argent du peuple.
Il a refusé de les blanchir de leurs crimes depuis l’époque de la Révolution et de ce qu’ils ont fait de l’Algérie indépendante dont ils ont massacré les valeurs, les rêves, les richesses, la jeunesse, les rares élites et l’image dans le monde. Sa génération a libéré l’Algérie, celle de l’arrière-ban l’a livrée aux voleurs par milliards de dollars sous la protection des plus hauts «responsables» pour s’attacher leurs services et leur omerta. Il les a humiliés pendant huit jours, mis au piquet, puis leur a désigné la poubelle de l’histoire sous l’œil méprisant des nouvelles générations.
A la mort des héros, les usurpateurs se déguisent de leur mieux pour leur ressembler, non pas dans un élan de regret mais pour subtiliser comme des pickpockets ce qu’ils peuvent de leur grandeur, de leur légitimité, de leur pureté… Ils ont quelques fois réussi dans le passé, ils n’ont recueilli en Kabylie que dédain et insultes. Aït Ahmed s’est dérobé au baiser de Judas, il a prévenu contre les larmes de crocodile, il a dénoncé à l’avance la comédie des «bousboussades» en guise de dédommagements des préjudices causés. Il a tenu à ce que chacun reste dans son coin, n’ayant pas gardé les vaches avec eux. Les voleurs de poules et de prestige ne sont pas arrivés malgré leurs ruses de Sioux à s’emparer d’un millimètre de son image, d’un bout du respect populaire dont il jouit, eux qui n’ont rien fait pour la Révolution ou le pays mais qui ont tout pris pour le vouer, finalement, à la faillite économique et à la guerre civile. Qui est finalement mort dans l’esprit des Algériens ? Aït-Ahmed ou le pouvoir ?
L’équation algérienne a de tout temps comporté deux inconnues, le peuple et le pouvoir. La façon la plus simple de procéder pour résoudre une équation à deux inconnues est d’affecter une valeur à l’une pour déterminer celle de l’autre. Si le produit des deux valeurs est, par exemple, quarante millions, et que ce nombre est celui d’une des deux inconnues à elle seule, le pouvoir par exemple, la valeur du peuple est fatalement de zéro. C’est ce qu’il en est dans la réalité algérienne puisque le pays est entièrement dépendant du pouvoir, incarné de surcroît par un homme malade, qui, en dépit de son état et de tout bon sens, concentre tous les pouvoirs, réduisant les autres institutions au rôle de courtisans effrayés par le moindre regard ou mouvement de sa main tremblante. C’est cela l’équation algérienne : 1 homme pesant autant que 40 millions d’autres. Est-il plus homme qu’eux, ou sont-ils à eux tous moins hommes que lui tout seul pour parler le langage algérien?
Peut-on dire d’Obama qu’il pèse plus que tant d’Américains ? Il ne peut venir à l’esprit de personne, pas même d’Obama, Obama qu’il vaut plus que 1, plus que lui-même, plus que sa modeste personne. Obama ne peut pas toucher à la Constitution de son pays alors qu’en Algérie Bouteflika vient de le faire pour la énième fois afin d’arranger ses petites affaires. Il vient, avec un mépris infini pour ce peuple, de sceller en mini-comité le sort de la «nouvelle» Constitution et par conséquent celui de notre avenir.
Un avenir déposé comme un drapeau ramené et replié entre les mains de la prédation, de l’ignorance et de l’opportunisme qui ont été choisis pour hériter, en toute légalité, de l’Algérie libérée par des hommes comme Aït Ahmed. A quoi servirait la révision de la Constitution si ce n’est à conférer cette légalité au plan ourdi pour la sauvegarde du pouvoir au détriment de l’intérêt des Algériens?
N’avait-elle cette nation dans le réservoir de ses ressources humaines que cet homme pour être dirigée, un homme qui ne s’est pas adressé à elle, comme lui en fait obligation l’article 70 de la Constitution, depuis plusieurs années ? Et d’abord pourquoi cet homme et pas Aït-Ahmed, par exemple, en 1999, 2004, 2009 et 2014 ? Gageons que ce sera encore lui en 2019. Etait-il plus «moudjahid» qu’Aït-Ahmed ? Plus instruit que lui ? Plus présentable que lui ? N’est-ce pas le jeune et inconnu Bouteflika que Boumediene, complotant avant même l’indépendance, a chargé de porter la proposition à Aït Ahmed de devenir le premier chef d’Etat sous la houlette de l’armée des frontières, proposition qu’il a déclinée, puis Boudiaf après lui ?
Les Algériens se nourrissent de mythes parce qu’ils ne raisonnent pas, ne réfléchissent pas, ne sont pas rationnels. Ils sont affectifs, sentimentaux, croient au merveilleux, aux sortilèges, au mauvais œil, à la baraka et à l’homme providentiel comme les hommes du Moyen-Age.
C’est dans ces dispositions mentales que nidifient les Djouha, les imposteurs, les escrocs et les despotes. Existe-t-il un pays au monde dont le président est désigné sur le seul critère vague de «moudjahid» ? A-t-on besoin d’un moudjahid quand l’Algérie est indépendante et vit en paix depuis 54 ans ? Est-il l’unique moudjahid du pays ? A-t-il plus fait pour la Révolution qu’Aït-Ahmed, le commandant Bouragaâ ou n’importe quel autre moudjahid ou moudjahida incontestable qu’on aurait pu citer?
Nous sommes les figurants d’un film d’épouvante où toute une nation a accepté qu’un homme malade joue avec sa vie. Bientôt l’Algérie bouclera sa deuxième année de funambule. Le funambule est cet équilibriste qui se livre à l’exercice périlleux de marcher au dessus du vide sur un fil tiré entre deux points. Au moindre faux pas c’est la chute dans le vide et la mort certaine.
L’acrobate qui se livre à cet art s’appelle un «fildefériste». On le confondrait à l’ouïe avec «FLNiste». L’Algérie a-t-elle choisi de s’adonner à ce sport de l’extrême ou l’y a-t-on contrainte ?
Qu’est-ce qui peut justifier une telle anomalie ? Rien d’autre que ce que je répète inlassablement depuis des décennies et que confirment les évènements l’un après l’autre, d’une décennie à l’autre, l’un plus grave que l’autre. Un homme tient dans sa seule main valide le destin d’une nation jeune, assoiffée de développement et de modernité. Un pays à ce point aveugle connaîtra nécessairement une triste fin.
Il n’y a qu’une explication au fait que cette nation soit inconsciente à ce point : elle n’en est pas une ! Il n’est pas au monde en effet une nation digne de ce nom qui soit dans notre situation. Les éléments matériels et apparents qui constituent les nations, nous les avons (territoire, ensemble d’individus), mais pas le contenu moral, la réalité mentale et sociale. Là est le point nodal du problème algérien, la vérité cachée au plus profond de la vérité : nous sommes tombés d’un arbre sans caractéristiques communes, nous ne portons pas le sentiment d’être une collectivité nationale pensant pareillement et regardant dans la même direction, nous sommes un assemblage, un attelage, une quantité de bounadems vivant non pas «ensemble» mais l’un à côté de l’autre, quand ce n’est pas l’un au détriment de l’autre, et croyant chacun en notre for intérieur que la nation peut s’écrouler et nous lui survivre, en réchapper.
Pour avoir des dirigeants dignes de ce nom, l’Algérie doit devenir une nation digne de ce nom. Quels sont les voies et moyens d’actions qui s’offrent à ceux qui veulent une vraie nation, une autre Algérie ? En 2017 vont se tenir des élections législatives et en 2019 une élection présidentielle. Les deux rendez-vous sont assez loin pour permettre une prise de conscience et engager les actions dictées par cette prise de conscience, des actions qui doivent absolument différer du train-train habituel et éculé qui a mille fois fait la preuve de son inefficacité.
La solution n’est pas dans une «transition démocratique», elle n’aura jamais lieu ; c’est une fausse solution découlant d’une analyse irréaliste démontrant aussi bien la méconnaissance du «système» que la naïveté de ses initiateurs. Que représentent les partis réunis dans la CNLTD pour que le pouvoir négocie avec eux cette «transition» ?
L’opposition formelle n’a rien entre les mains, l’addition de ses forces est dérisoire malgré les tartarinades de ses porte-voix. La solution n’est pas plus dans la mise en place d’une instance indépendante de surveillance des élections. Il faut une autre approche, une stratégie radicalement nouvelle, comme celle que j’ai esquissée dans de précédents écrits. Si toute l’Algérie avait été la Kabylie, combien resterait-il à vivre au pouvoir ?
N. B.

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