Tayyip Erdogan. a beau être un tribun, il n'en a pas pour autant la rondeur nécessaire pour s'extirper des questions dérangeantes. C'est la raison pour laquelle les journalistes capables de l'approcher sont directement accrédités par le Palais et aucun ne s'aventurerait à poser une colle au chef de l'Etat.
Le problème se pose lorsqu'un chef d'Etat étranger vient à Ankara. Le raïs turc peut alors se retrouver confronté à de singulières questions. La dernière en date a été posée par un journaliste finlandais qui lui a carrément demandé s'il était un dictateur. Tom Kankkonen, journaliste indépendant en Turquie de 1994 à 2000, avait déjà interrogé Erdogan lors d'une visite en Finlande en 2013 sur la mixité dans les résidences universitaires. "Vous êtes en mission spéciale", lui avait rétorqué le Premier ministre de l'époque.
"Si j'étais dictateur, vous n'auriez pas pu me poser cette question"
Erdogan, piqué au vif, a commencé par demander le nom du quotidien dans lequel le journaliste finlandais travaille avant de lâcher : "Vous n'auriez pas pu poser cette question dans un pays gouverné par un dictateur".
Le président a indiqué que la presse turque n'hésitait pas à injurier sa personne et les membres de sa famille et que cette configuration faisait de la Turquie un pays où "les libertés sont illimitées". Il a même prétendu que son pays était sur ce point en avance sur d'autres pays européens.
En réalité, Erdogan a tendance à qualifier d'insulte toute critiques acerbe. Des centaines de personnes sont actuellement sous le coup d'enquêtes pour offense envers le chef de l'Etat, un délit puni d'un an à quatre ans d'emprisonnement. Récemment, c'est le rédacteur en chef de Today's Zaman, Bülent Kenes, qui a été placé en détention provisoire pour avoir envoyés des tweets qualifiés d'insultes par la justice turque.
L'offense au chef de l'Etat, la nouvelle épée de Damoclès
Selon de nombreux observateurs, l'article 299 du code pénal qui prévoit cette infraction serait devenu le "nouveau 301", en référénce à l'article 301 du même code qui punissait les atteintes à la turcité et qui, à ce titre, permettaient d'étouffer toute critique contraire au canon officiel de la République. Le prix Nobel de littérature Orhan Pamuk avait été ainsi traîné en justice pour avoir exprimé une lecture différente sur la déportation des Arméniens ottomans en 1915.
Mercredi 14 octobre, c'est l'ancien rédacteur en chef de Zaman, Ekrem Dumanli, qui faisait l'objet d'une plainte pour offense envers le chef de l'Etat. Celui-ci a en effet estimé qu'un des articles publiés dans le quotidien avait insinué qu'il avait fait transférer des armes au Nigéria par le biais de la Turkish Airlines. Le journal avait seulement évoqué les allégations et publié la réponse de la compagnie aérienne turque.