Arezki Abboute est un militant de la revendication identitaire de la premiere heure. Un des détenus d’Avril 80, et 1985, il est un des animateurs du MCB et un membre fondateur de la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme. Kabylie News l’a contacté pour commenter l’officialisation de Tamazight dans l’avant projet de la constitution.
Kabylie News : En tant que militant de la cause Berbère, arrêté et torturé en 1980 et en 1985, comment avez-vous appris l’officialisation de Tamazight dans cet avant-projet de constitution ?
A. Abboute : N’étant pas dans le secret des Dieux, je te réponds que j’ai appris cette nouvelle exactement comme l’avaient apprise de nombreux autres citoyens : Dans les médias, juste après la conférence de presse animée par M. Ouyahia, chef de cabinet du président de la république. Mais pour être franc, j’ajouterai aussi que cette information n’a été ni un scoop, ni une surprise pour tout homme qui suit l’actualité politique du pays. Car depuis quelques temps déjà, des signes de plus en plus nombreux montraient que Tamazight avait de très fortes chances d’avoir enfin une place dans l’avant- projet de constitution initié par le pouvoir. Et le fait que le FLN, qui a toujours vu en Tamazight un facteur de division du peuple algérien, ait subitement revu sa position et s’est prononcé en faveur de son officialisation n’est non seulement pas anodin, mais pourrait même être susurré par des voix autorisées, confortant, du coup, ce que je viens d’avancer
Pour moi donc, la crainte n’était pas tant de savoir si Tamazight va être constitutionnalisée comme langue officielle, mais plutôt comment sera formulée cette officialisation, et si celle-ci aura droit à un article clair, précis, qui ne prêterait à aucune équivoque, ou lui réservera-t-on seulement une place dans le préambule de cet avant-projet?
Ceci étant rappelé, mon opinion sur l’officialisation de notre langue rejoint un peu celles qui ont été déjà exprimées par de nombreux militants et autres sympathisants et qui, presque toutes, reconnaissent qu’elle constitue une conquête de plus qui vient s’ajouter à celles engrangées tout au long de ces dernières années, souvent avec des sacrifices, dont certains ont été beaucoup trop élevés pour ne pas les rappeler : "Affaire dite des Poseurs de bombes", Avril 80, la mort d’Amzal Kamal, le boycott scolaire et l’horrible massacre qui a suivi les événements de 2001. J’ajouterai aussi que cette conquête ne manquera certainement pas de galvaniser ses défenseurs qui comprendront qu’il n’y que "les combats qui ne sont pas menés qui sont perdus d’avance".
L’officialisation de Tamazight a suscité un débat souvent entre les pour et les contre cette officialisation. Quel est votre commentaire là-dessus ?
Croire qu’un événement de cette importance allait passer sans déchaîner les passions et soulever des vagues relève de la méconnaissance de la société dans laquelle on évolue. Et quand on sait que tous les pouvoirs qui se sont succédé en Algérie, depuis 1962 à ce jour, ont présenté Tamazight comme un facteur de division du peuple algérien, voire une création du colonialisme, il ne faut pas s’étonner qu’on en soit là aujourd’hui.
Pour ma part, et pour avoir suivi à travers les médias, les réseaux sociaux notamment, tout ce qui se dit ou s’écrit, j’ai pu en relevé trois lourdes tendances :
La première est celle des militants qui, presque tous, ont salué cette officialisation, mais en reconnaissant toutefois qu’elle est bien en deçà de ceux qu’ils ont espéré et que par conséquent l’on doit continuer à être vigilants et, surtout, à ne pas baisser les bras.
La deuxième est constituée de ceux qui s’alignent systématiquement derrière les initiatives prises par le pouvoir et qui n’hésitent pas à crier plus fort que tous les autres pour faire croire que cet acquis est le fruit de leur combat et en tentant de faire oublier ce qu’ont été leurs positions, juste la veille.
La troisième, de loin la plus virulente, est celle qui fut saisie d’une hystérie qui n’a d’égale que la haine qu’ils vouent non pas seulement à Tamazight, mais à tout ce qui leur rappelle la Kabylie, réduisant volontairement Tamazgha aux wilayas de Tizi-Ouzou, de Bgayet et Bouira; ceux qui nous voient comme ennemis à éradiquer et non comme algériens avec une langue différente (Tamazight) de celle qu’ils se sont choisie (l’Arabe), une culture différente (la culture berbère) de celle que le pouvoir a importé(la culture arabo-musulmane), comme il importe des kiwis et des bananes.
Les islamo-terroristes, car c’est de ceux-là dont il s’agit, ne peuvent tolérer l’officialisation de notre langue, cette belle langue capable de véhiculer les principes de fraternité, de tolérance et de modernité… Et, au vu de ce que l’on peut lire et entendre ça et là, ils se préparent même à une grande manifestation pour dénoncer cette constitutionnalisation, ce qui ne m’étonne pas du tout.
Autre que l’officialisation de Tamazight, que pensez-vous de cet avant-projet de constitution ?
Pour être franc, je t’avoue n’avoir pas pris le temps nécessaire pour me prononcer sur tout son contenu, mais me concernant, j’ai toujours considéré que s’il est effectivement important d’avoir une constitution qui consacre la démocratie, les droits de l’homme, la justice sociale, en un mot, l’Etat de droit, il est tout aussi important de veiller à leur effectivité, ce qui, aujourd’hui , constitue, avec la corruption, une des plus grandes plaies du régime algérien.
Vous faites partie des initiateurs du "Manifeste pour la reconnaissance d’un statut particulier de la Kabylie. Après un an d’existence, quel bilan en faites vous ?Il n’échappe à personne que lancer une telle initiative en Algérie aujourd’hui relève tout simplement d’une gageure, tellement le champ politique est fermé hermétiquement par un pouvoir qu’on n’arrête pas de qualifier de finissant, mais qui, au grand dam des patriotes de ce pays, continue d’engager l’ avenir de ses enfants avec une légèreté déconcertante, nous faisant craindre, n’ayons pas peur des mots, une véritable catastrophe dont il sera l’unique responsable.
Conscients de la gravité de cette situation, et ne voulant surtout pas faire dans la précipitation, souvent source d’échec, nous avons choisi d’aller "doucement mais sûrement". C’est ainsi que nous n’avons pas cessé d’enregistrer de nombreuses marques de sympathie et d’encouragement à chacune de nos sorties médiatiques, tant pour la justesse de nos analyses que pour les solutions que nous proposons, le système jacobin hérité de la colonisation, ayant lamentablement échoué.
Parallèlement à ces sorties médiatiques, et fidèles au rôle de rassembleur que nous nous sommes imposés dès notre création, des contacts continuent de s’établir avec d’autres formations politiques proches de nos thèses et avec d’autres acteurs de la société civile qui ont la Kabylie chevillée au corps et donc, soucieux de son devenir.
Sans verser dans le triomphalisme, un an d’existence et une situation du pays qui laisse présager le pire, je me permets de conclure que notre mouvement tient bien la route, car ses animateurs sont convaincus qu’il n’y a que" les combats qui ne sont pas menés qui sont perdus d’avance", comme je l’ai déjà rappelé plus haut.
Interview réalisée par Madjid Serrah